NOUVEAU TEXTE: "A PROPOS DES 21 MESURES POUR L'ENSEIGNEMENT DES MATHEMATIQUES DE LA COMMISSION VILLANI"

19/01/2018

Dans l’actualité :

 l’efficacité de l’école continue de se dégrader.

La politique de l’actuel ministre de l’éducation est-elle à la hauteur du problème ?

         La dernière évaluation Pirls ne fait que corroborer ce que les observateurs du système scolaire français pressentaient, tout en redoutant une confirmation aussi nette: l’efficacité de notre école ne cesse de se dégrader. Pourtant depuis 15 ans, et même un peu plus, la pédagogie, notamment à travers les méthodes d’apprentissage de la lecture, est constamment mise en cause. La dénonciation violente de la méthode globale et des méthodes mixtes a commencé au début des années 2000 avec des livres pamphlétaires très vite devenus des succès de librairie. Leurs auteurs, notamment Marc le Bris et Jean-Paul Brighelli, tous les deux enseignants, en allant présenter leurs positions sur les plateaux de télévision aux heures de grandes écoutes, ont réussi à toucher un public important, culturellement peu enclin à lire les livres sur l’école. Plus récemment deux journalistes, Sophie Coignard et Carole Barjon, ont encore enfoncé le clou dans le même style pamphlétaire. Du côté de l’institution c’est Gilles de Robien qui, en tant que ministre de l’Education Nationale entre mai 2005 et mai 2007, a sonné la charge contre les méthodes de lecture. Et tout cela pour quel résultat ? Rappelons, en outre, que, pour le calcul, disons de façon plus générale pour l’apprentissage de la numération, selon les résultats de l’enquête Timss (Trends in International Mathématiques and Sciences Study) publiée fin 2016, la situation me paraît encore pire. D’autre pays, l’Allemagne par exemple, pour lesquels les évaluations publiées en 2000 étaient plutôt médiocres, ont su réagir et redresser la situation. Nous, non ! Nous n’arrivons pas à enrayer cette dégradation. Pourquoi ?        
Mais avant de tenter de répondre à cette question, il me paraît nécessaire d’insister sur la gravité de la situation et la nécessité de ne pas continuer à s’égarer en discours stériles, de ne pas détourner l’attention des acteurs de l’éducation des questions essentielles. Chaque nouvelle évaluation est l’occasion pour certaines revues de nous abreuver de discours creux. Je réagis notamment à l’article que je viens de lire dans le dernier numéro de Sciences Humaines, un échange entre Edgar Morin et Jean Michel Blanquer autour de la question : « comment changer l’école ? ». Reconnaissons à Edgar Morin une prise de conscience très forte des évolutions philosophiques, sociétales, scientifiques, technologiques et d’une nécessaire adaptation de nos conceptions éducatives. Mais, d’une part, sa pensée est tellement générale qu’il me paraît difficile de ne pas être d’accord avec lui, d’autre part, elle reste terriblement éloignée des problèmes actuels de tout notre système éducatif. Les réponses de Jean Michel Blanquer aux questions des journalistes  me paraissent déjà un peu plus proches des réalités du moment. Cependant, dans leurs formes, tous ces discours sont récurrents depuis trop longtemps, et … fatigants. Ils ressortent chaque fois que les projecteurs de l’actualité sont dirigés vers l’école. C’est encore le cas cette fois avec la publication des résultats de l’évaluation internationale Pirls. Depuis 15 ans ils n’ont conduit à rien, mais absolument à rien. Il y en a assez. Le problème du moment est que, dans le contexte de la modernité avec ses exigences, tous les enfants apprennent à lire, à écrire et à compter de façon efficace. Il est purement technique, disons plus exactement purement pédagogique. Sans quoi l’école qu’Edgar Morin appelle de ses vœux ne peut que rester une douce utopie. Ainsi j’approuve, bien sûr, les références de Jean Michel Blanquer à Maria Montessori et Célestin Freinet, car je souhaite, moi aussi, que ces deux précurseurs inspirent bien plus fortement les pratiques pédagogiques. Mais la modernité engendre des difficultés vraiment nouvelles, que les auteurs auxquels se référent nos deux personnalités n’ont pas connus, même lorsqu’ils sont assez proches de nous comme maria Montessori et Célestin Freinet. Pour identifier et dépasser ces difficultés nous sommes condamner à innover dans notre façon de voir le problème et de le traiter. Nous pouvons bien rêver l’éducation de demain, mais sans oublier les priorités. Il faut donc savoir, maintenant, pourquoi, à l’égard des fondamentaux, l’efficacité de notre école ne cesse de se dégrader malgré une succession de réformes, toutes aussi bien inspirées que les réponses d’Edgar Morin et de Jean Michel Blanquer aux questions des journalistes, toutes porteuses d’espoir malheureusement vite déçu. Et, par exemple, à Edgar Morin qui nous dit : « Le changement passera aussi par la formation des professeurs pour qu’ils puissent enseigner les nouvelles thématiques que je défends », je réponds : oui, évidemment, le changement passera nécessairement, prioritairement, par la formation des professeurs mais pour qu’ils puissent d’abord enseigner correctement l’écrit, ses fondamentaux.
        Par ailleurs, jean Michel Blanquer, actuel ministre de l’Education Nationale, met en avant des études scientifiques remarquables, notamment celles de Stanislas Dehaene. Elles affirment, preuves à l’appui, l’efficacité du décodage dans l’apprentissage de la lecture. D’abord, je tiens à affirmer avec force mon soutien à ce type de recherche. Je pense que la pédagogie a impérativement besoin de la recherche scientifique pour évoluer, s’adapter et atteindre le niveau d’efficacité attendu par la société. Cependant, elle doit impérativement s’effectuer en relation étroite avec le terrain de l’action pédagogique, c’est-à-dire avec l’ensemble des enseignants, et non en catimini dans le secret des laboratoires pour aboutir à des résultats certes remarquables, mais qui, finalement, paraissent aux enseignants bien trop éloignés des exigences de l’action pédagogique telle qu’ils la ressentent. D’autre part, malgré ce soutien, il faut tout de même ne pas faire une fixation trop importante sur ses premiers résultats, notamment quand ils ne font qu’affirmer une réalité qui pourrait être rendue évidente de façon beaucoup plus simple.
         Constatons d’abord que certains n’ont pas manqué d’interpréter un peu trop vite ces premiers travaux comme une preuve de la supériorité des méthodes dites syllabiques sur les autres. A tort, car il ne faut pas confondre les méthodes utilisées en France, toutes plus semi-globales ou mixtes que purement globales, avec la méthode idéo-visuelle de Jean Foucambert. De toute façon, même la méthode dite globale d’Ovide Decroly et J.E Segers ne se réduit pas à un apprentissage strictement idéo-visuel de la lecture. En effet, et en principe, les méthodes semi-globales ou mixtes devraient accorder une place très importante au décodage. Ce qui montre, finalement, qu’en France, les débats sur les méthodes d’apprentissage de la lecture et la pédagogie ont surtout un caractère idéologique. Le véritable problème  se situe, en fait, dans la formation des enseignants, leurs aptitudes à trouver la bonne méthode ou à la mettre en application. Notre ministre donne le sentiment d’être lui même partisan des méthodes syllabiques mais de façon suffisamment ambiguë pour ne heurter personne. Par habileté politique je suppose, mais a-t-il lui-même les idées suffisamment claires sur la question pour prendre position ? J’en doute un peu car dans ses intentions il met bien en avant la formation des enseignants mais sans aucune précision quant à son contenu. Or, le redressement de l’efficacité de notre école, donc de la réussite de sa politique dépend surtout des orientations à donner à cette formation.
         A l’égard de l’apprentissage de l’écrit, les travaux de Stanislas Dehaene ne font que confirmer ce que tous les enseignants devraient savoir de façon parfaitement consciente, et ne pas oublier : les méthodes d’apprentissage de la lecture par décodage sont en corrélation étroite avec la nature de l’écrit. Ce qui, comme nous allons le constater, dans le contexte actuel, n’est pas vraiment évident. Et je doute que les recherches conduites par Stanislas Dehaene, en raison de leur complexité et surtout parce qu’elles relèvent plus de la biophysique que des sciences humaines, puissent réellement convaincre les enseignants, leur ôter toute arrière pensée. Encore une question de formation, d’ouverture de l’esprit aux sciences. Les réactions à sa nomination à la tête d’un comité scientifique sont révélatrices d’une forme de refus. Dans cette situation, il est tout de même intéressant de savoir, pourquoi, au regard de l’efficacité, la pédagogie s’est à ce point égarée. La mise en application des nouvelles méthodes s’est faite dans les années 70. J’étais déjà enseignant, dans le secondaire. Bien que n’étant pas directement concerné j’ai suivi les débats qui agitaient le microcosme éducatif. Je crois avoir même conservé quelques documents sur le sujet. Le temps passe et pour la quasi totalité des enseignants actuellement en activité, comme pour notre ministre et ses conseillers, comme pour Stanislas Dehaene, beaucoup trop jeunes pour l’avoir vécu, la connaissance de cette période relève de l’histoire et de ses interprétations. Il me paraît donc nécessaire de rappeler que dans les années 70 la France découvrait avec stupeur l’illettrisme, un phénomène différent de l’analphabétisme puisque l’illettré est quelqu’un qui a appris à lire et à écrire mais qui, par la suite, a oublié, au moins partiellement. Selon les statistiques la proportion d’illettrés dans la population adulte se situait entre 6 et 10 %, (et elle reste encore aujourd’hui à un niveau élevé, trop élevé). Une découverte insupportable pour un pays développé, particulièrement fier du fonctionnement de son école primaire et de ses traditions scolaires. Or, à cette époque, le savoir lire et écrire des adultes, ne pouvait pas avoir été appris autrement que par la méthode syllabique la plus traditionnelle. Voilà une des raisons pour lesquelles les pédagogues les plus sensibles à ce nouveau problème ont cherché à mettre en œuvre d’autres méthodes. Il y a d’autres raisons bien sûr. J’ai développé un peu plus longuement ces souvenirs par ailleurs sur ce site. Mais tout c’est fait dans le désordre, la confusion la plus totale. Car toute la société française était en effervescence et, après la révolution de 1968, les exigences d’origine à la fois culturelles et économiques envers le système éducatif sont devenues brutalement très fortes, à juste titre. Il fallait, d’une part, que tous les jeunes puissent accéder au collège, à l’enseignement secondaire ou technique, et, d’autre part, il fallait aussi que les rapports à l’enfant évoluent, s’émancipent de conceptions éducatives presque dignes du moyen âge. Les réformes absolument nécessaires concernaient donc en fait tout le système éducatif. Mais, en France, surtout chez les intellectuels, peut-être aussi dans toute la société de façon plus ou moins consciente, l’attachement aux savoirs académiques est particulièrement fort. Pour moi aussi. Mais, associé aux traditions, qui, à l’égard de l’école, sont beaucoup plus fortes en France qu’ailleurs, à une forme de conservatisme et à des inquiétudes non justifiées, cet attachement engendre trop souvent un aveuglement que je n’hésite pas à qualifier de criminel. Même aujourd’hui l’idée qu’il suffit de bien connaître une discipline pour être capable de l’enseigner est encore très vivace. Selon des conceptions bien trop répandues il suffirait de savoir d’abord bien lire, écrire, compter, puis de bien connaître la littérature ou l’histoire ou les mathématiques ou la physique ou la biologie, … pour être capable d’enseigner. Ainsi, l’institution, avec la caution de toute la société française et surtout des intellectuels, a donc négligé (et c’est un euphémisme) la formation pédagogique des enseignants. Elle a surtout « oublié » que pour enseigner il ne suffit pas de bien maîtriser les savoirs fondamentaux et académiques mais qu’il faut aussi posséder une connaissance consciente de la nature et du fonctionnement médiatique de l’écrit. Un contexte qui ne pouvait que produire un immense carambolage, des télescopages violents, entre les concepts à mettre en œuvre pour faire entrer l’école dans la modernité, comme cela c’est fait dans d’autres pays. Effectivement beaucoup font mieux que nous. Dans l’esprit des évaluations internationales le verdict est sans appel. Cependant, même si l’examen des résultats montre que les différences sont sensibles, il apparaît aussi qu’aucune école ne fonctionne parfaitement. En fait, toutes sont plus ou moins concernées par les hypothèses que je présente sur ce site.
         En 1990, la création tardive de I.U.F.M. (institut de formation des maîtres) n’a rien résolu. Au contraire, car deux camps s’étaient déjà formés et les esprits fortement échauffés. La question bien réelle de l’adaptation de tout notre système éducatif à la modernité a dérivé rapidement vers un combat idéologique violent. Les pédagogues, qui ont voulu les I.U.F.M., les ont transformés en camps retranchés, et les véritables besoins de formation des maîtres sont vraiment passés au second plan. Finalement, en 2008, le pouvoir politique acquis aux thèses ultraconservatrices des détracteurs de la pédagogie a décidé de supprimer carrément l’année de formation pédagogique au sein de ces I.U.F.M., leur ôtant le peu d’intérêt qu’ils pouvaient avoir. Beaucoup de temps perdu ! Mais les écoles supérieures du professorat et de l’éducation (E.S.P.E) crées en 2013 n’ont toujours pas la réputation d’être bien plus efficace que les précédents I.U.F.M. Alors que se passe-t-il vraiment?        
J’ai déjà noté que les méthodes d’apprentissage de la lecture par décodage sont en corrélation étroite avec la nature de l’écrit, et que, en fait, les travaux de Stanislas Dehaene ne font que nous rappeler qu’il faut garder constamment en mémoire ce qu’est réellement la nature de l’écrit, une conception que tous les enseignants de toutes les disciplines, du primaire au supérieur, devraient avoir fortement intégrer avant de commencer à exercer. Ce n’est vraiment pas le cas. A cet égard, sans même évoquer ce que font les enseignants dans le cadre de leur liberté pédagogique, l’institution est elle-même coupable d’une légèreté gravissime. Elle porte, en fait, la quasi-totalité des responsabilités dans ce problème. Pour moi, enseignant de mathématiques, l’exemple le plus flagrant est celui de la circulaire de 1986, mise en application à la rentrée 1988, décrétant que l’apprentissage des nombres devait se faire directement par celui de la suite numérique, sans passer par les collections. Le caractère imbécile de cette mesure, fortement dénoncée par Rémi Brissiaud dans plusieurs de ses ouvrages, mérite d’être à nouveau expliqué. Les nombres ont deux fonctions, disons par nature. Une fonction de dénombrement, indicateur de quantité, et une fonction de repérage ou d’ordre. Par exemple, le signe 5, qu’il soit écrit ou énoncé oralement, selon les situations, désigne soit une quantité d’objets, soit une position : 5 est plus grand que 4 et plus petit que 6 ; 5 se place donc entre 4 et 6.  Par nature, la seconde fonction découle de la première. L’enfant qui apprend d’abord à associer les bons signes aux collections qui lui sont présentées n’a pas de peine à constater que la collection de 5 billes, par exemple, contient une bille de plus que celle de 4 et une de moins que celle de 6. En raison de ce qui, historiquement, vient se placer derrière l’écriture ou l’énoncé oral des nombres, donc de ce que par nature ils signifient, la seconde fonction découle de la première et l’inverse ne se peut pas. Quand l’apprentissage des nombres s’effectue en respectant les imbrications originelles, ou naturelles, de leurs significations l’enfant découvre et se familiarise progressivement avec le fonctionnement de l’écrit, de tout l’écrit. Ainsi il découvre qu’en mélangeant la collection de 4 billes avec celle de 3 billes il en forme une autre de 7 billes, que le mélange de 4 collections de 3 billes forme une collection de 12 billes ; et il va apprendre à additionner, à soustraire et à multiplier en s’appuyant sur les représentations acquises par la manipulation des collections. Pourquoi avoir voulu inverser l’ordre dans l’apprentissage des fonctions du nombre ? Bien sûr, avec la modernité, les utilités externes de la numération se sont sensiblement transformées.  Les calculatrices ont fortement réduit la motivation pour l’apprentissage du calcul, et il est vrai que la fonction de repérage semble maintenant l’emporter sur celle de dénombrement. Mais la 6ième chaîne de télévision n’apparaît pas en appuyant successivement sur la touche 4 et sur la touche 2, ou inversement, ou en appuyant 3 fois sur la touche 2 ou 2 fois sur la touche 3. Les opérations sur les nombres ne se situent pas dans la logique de cette façon de les faire découvrir. Comment peut-on espérer et même prétendre motiver les enfants pour l’apprentissage du calcul et des mathématiques en proposant d’y d’entrer par des chemins aussi incohérents ? Pourtant, avec la modernité, les exigences culturelles et professionnelles envers les mathématiques sont de plus en plus fortes. Mais il vrai qu’elles ne se situent plus au niveau des premiers apprentissages, et il est plus difficile d’y sensibiliser les enfants. De pareilles initiatives, de la part de gens qui pourtant maîtrisent incontestablement bien le calcul, ne peuvent que relever d’une forme d’ignorance, ou d’une légèreté, relative à la signification exacte des nombres. La sanction a été sans appel. Les effets de cette circulaire sur la maîtrise de la numération ont été absolument catastrophiques. Et nous peinons à revenir sur ce choix malheureux. Les parents, en s’acharnant à faire apprendre et réciter par cœur la suite numérique sans jamais faire appel aux collections, ont, eux aussi, leur part de responsabilité. Une tradition bien française qui, malheureusement, perdure malgré les changements dans l’environnement des enfants. Parce qu’il est fait de représentations conventionnelles, l’écrit, celui de notre langue maternelle comme celui des mathématiques, est un édifice d’imbrications semblables à celles que je viens de décrire, et son apprentissage s’associe donc à des raisonnements. Ainsi, faire apprendre « par cœur », directement, non seulement ne suffit pas mais constitue en plus une incohérence. Pour les enseignants, la connaissance parfaite de ces imbrications et de ces raisonnements relève de ce que j’appelle « la pédagogie de l’instruction ». L’école nouvelle en introduisant des concepts nouveaux n’est pas allé trop loin, bien au contraire, puisqu’elle n’a pas encore intégré ceux de la pédagogie de l’instruction. Il me paraît, en effet, extrêmement important d’éveiller la sensibilité des jeunes à cet aspect fondamental de l’écrit, dès les premiers apprentissages, de façon à faire de la découverte de ces imbrications une sorte de jeu.
         Au cours des dernières décennies les enfants ont changé. Les élèves d’aujourd’hui ne sont plus ceux de l’école d’autrefois. C’est un fait, mais, de toute façon, qu’ils aient changé ou non, les rapports de l’enseignant à l’enfant devaient évoluer, impérativement, en intégrant d’autres concepts, avec d’autres mots disons qu’il fallait sortir de la psychopédagogie simpliste des coups de règle et d’une exigence de docilité obtenue par la sacro-sainte autorité au détriment de la motivation dont, autrefois, il ne semblait pas nécessaire de se préoccuper. Il fallait effectivement mettre enfin l’enfant au centre du système. Cette évolution hérisse toujours certains défenseurs des savoirs académiques. Elle était pourtant nécessaire. Elle s’imposait. Mais je reconnais que les pédagogues ont fortement prêté le flan à la critique, bien que celle-ci n’ait pas été constructive ni même intelligente. En effet ce n’est pas en plaçant l’enfant au centre du système qu’ils se sont égarés. Car il est bien au centre du projet éducatif, véritable ou première raison d’exister de l’école. Un peu de cohérence ! C’est une réalité incontestable. La préservation des savoirs académiques ne peut être qu’une composante de ce projet. Il fallait donc enfin le reconnaître, et prétendre que cette reconnaissance dévalorise les savoirs académiques est une imbécillité. Mais trop souvent, comme je l’ai montré plus haut, les enseignants, et surtout l’institution, ont pensé qu’il était possible d’adapter l’écrit aux évolutions de l’enfant, à ses motivations, à sa nouvelle façon d’être en classe, à l’ensemble de ses prédispositions[i], à ses exigences, telles qu’ils croyaient les percevoir, au détriment de la nature même de l’écrit. De contourner les résistances par des raccourcis faciles. Or, la nature de l’écrit est absolument immuable. De façon peut-être un peu sévère j’ai même envie de dire, que dans l’ensemble, les responsables de cette situation n’ont très certainement rien pensé, ils se sont simplement abandonnés à la facilité dans une forme d’ignorance ou de cécité, pour sauver les apparences, pour que la réussite des enfants reste à un niveau politiquement correct. Ce que je dénonce là est très sensible en mathématiques où l’enseignement de la numération, pourtant fondamental pour la suite, a perdu toute cohérence en relation avec sa nature. La majorité des professeurs de français, de leur côté, émettent aussi des critiques sévères, d’abord sur le niveau des enfants en lecture, ensuite pour tout l’enseignement du français, les programmes, les objectifs, … Mais, contrairement à Claude Allègre qui a tenu parfois des propos totalement irresponsables lorsqu’il était ministre de l’Education Nationale, je veux souligner l’importance des mathématiques dans l’acquisition de l’écrit, et encore une fois de tout l’écrit. Il faut d’abord reconnaître que, chronologiquement, c’est par l’écriture et l’énoncé oral des nombres que l’enfant entre sérieusement dans le « monde » des notations conventionnelles, donc dans celui de l’écrit. La façon dont cet apprentissage s’effectue me paraît fondamental car avec lui se posent les fondations de sa formation scolaire et même intellectuelle. Il est donc impératif qu’il soit cohérent avec la nature de ce que l’enfant doit apprendre par la suite, notamment sa langue maternelle, lire, écrire, compter, calculer, … De façon plus générale, tout au long de la scolarité de l’enfant, les mathématiques, quand elles sont enseignées de façon cohérente, ont le mérite de mettre en exergue, c’est-à-dire parfaitement en évidence, le fonctionnement de l’écrit à travers ses notations conventionnelles, le fonctionnement de tout l’écrit. Or qu’a-t-on fait des mathématiques ? Un outil de sélection par un enseignement bête et méchant.
         En activité, notamment au niveau du collège, jusqu’en 2003, comme tous mes collègues j’ai très certainement une part de responsabilité dans cette évolution. Je ne cherche pas à l’écarter par une critique d’autres acteurs, notamment de l’institution. Le problème aujourd’hui est de savoir ce qu’il faut faire. Car je constate encore une fois  que depuis les premières évaluations internationales en 2000, notre pays n’a pas été capable d’enrayer cette dégradation. Alors que d’autres ont fortement réagi. Le problème est donc maintenant de savoir pourquoi. Je propose un ensemble d’hypothèses que je développe sur ce site depuis plusieurs années, depuis mai 2012 pour être plus précis, en m’efforçant de les affiner progressivement le plus possible. Pourquoi ne sont-elles pas plus répandues ? Je pense que la réponse est à chercher dans mon parcours personnel. Il en explique l’origine. Enseignant de mathématiques je possède aussi une bonne connaissance de la photographie, disons immédiatement, pour être un peu plus précis, de l’ensemble des images qui font le « monde de l’image » dans lequel nous vivons aujourd’hui. Photographe militaire pendant mon Service national (1969 – 1970), j’ai donc bénéficié d’un apprentissage pratique plutôt intensif, faisant suite à des études techniques (BTS du secteur industriel) et scientifiques (Math-Physique-Chimie) qui m’ont permis d’en tirer un certain profit. J’ai, par la suite, eu la chance de pouvoir m’équiper[2], notamment en installant chez moi un laboratoire argentique personnel digne des meilleurs photographes professionnels. J’ai donc continué à faire de la photographie en tant qu’amateur, plutôt expert, animateur de clubs et formateur, parallèlement à l’exercice de mon métier d’enseignant en mathématiques. Et j’ai surtout, vraiment surtout, vécu l’effervescence des années 70 : salons, expositions, rencontres, notamment celles d’Arles avec ses ateliers de réflexion, discussions sur le statut de la photographie dans les arts visuel, les pratiques, … Ma bibliothèque contient beaucoup d’albums mais, surtout, pratiquement l’essentiel de ce qui a été écrit et publié en français sur la photographie au cours des années 70 et 80, c’est-à-dire pratiquement toutes les recherches autour de son statut et de ses pratiques. Il faut savoir que son identité dans l’ensemble des arts visuels était encore en débat. Depuis les échanges entre Baudelaire et Nadar la réflexion avait peu évolué. Mes hypothèses sur l’état de l’école se situe donc à la convergence de deux expériences chronologiquement parallèles d’abord celle de l’enseignement des mathématiques ensuite celle très personnelle de la photographie, qui, justement, m’a permis d’acquérir une bonne connaissance de sa nature et du fonctionnement médiatique de l’ensemble des images de conception photographique[3]. (Je constate qu’on peut être photographe professionnel et mal connaître le fonctionnement des images de conception photographique, comme le montre la photographie officielle du président Emmanuel Macron). Or cette connaissance ne peut sérieusement se construire que par comparaison avec la nature et le fonctionnement d’autres moyens d’expression. En fait, elle s’élabore dans une véritable opposition avec la peinture et le dessin bien sûr mais surtout avec l’écrit et le discours. A propos de mon expérience de l’enseignement je dois aussi ajouter deux éléments. D’abord j’ai participé à la mise en place d’un enseignement de technologie-physique entre la fin des années 60 et le milieu des années 70, pour lequel j’ai été sollicité en raison de ma bivalence technologie-sciences. Ensuite j’ai enseigné les mathématiques en formation de base (du niveau 3ème à celui de terminale scientifique) dans un centre associé au CNAM, pendant une dizaine d’années entre 1978 et 1990. Des expériences qui m’ont donné le goût de la réflexion sur les pratiques pédagogiques. Or, dans les années 80, comme beaucoup de collègues, j’ai constaté chez mes élèves l’apparition de résistances vraiment nouvelles aux apprentissages scolaires s’associant à une montée en puissance très forte des résistances traditionnelles. Cette question a été longuement développée dans plusieurs textes de ce site. Le phénomène est devenu particulièrement sensible avec la pénétration massive des images de conception photographique dans les espaces de vie quotidiens des enfants véhiculées par la télévision. C’est donc ma connaissance du fonctionnement de l’image de conception photographique qui m’a permis de faire le rapprochement sur lequel se fondent les hypothèses que je propose.

         Alors qu’elles sont ces hypothèses ? Je vais pour la première fois les présenter en deux groupes s’enchaînant de façon logique. Le premier concerne les enfants, le second l’institution et les enseignants. Le but de cet article est justement d’insister sur ce second groupe  d’hypothèses, un peu plus que je ne l’ai fait jusqu’à présent. Pour celles concernant les enfants je ne rappellerai que les étapes, le plus brièvement possible, sans refaire les démonstrations qui sont déjà largement présentes dans plusieurs textes de ce site.
         Je commence donc par rappeler de façon concise les hypothèses concernant les enfants. D’abord, pour moi, la télévision n’est pas un média innocent. Je ne suis pas seul à le penser. Mais je ne le dis pas banalement comme beaucoup le font sans vraiment croire ce qu’ils disent. Elle est effectivement dénoncée comme un danger, surtout pour les enfants, de façon récurrente, depuis qu’elle existe. Mais pour quel résultat ? D’une part, les dangers dénoncés, plus par intuition que par raisonnement, relèvent donc trop souvent de suppositions hasardeuses. D’autre part, la télévision parce qu’elle appartient incontestablement à la modernité bénéficie d’une indulgence coupable. Son dénigrement est perçu souvent comme une forme de passéisme. Plus ou moins à juste titre car elle serait effectivement un outil de formation et d’éducation moderne formidable si, sous l’impulsion des marchands et à cause de la passivité des institutions, elle n’avait pas dérivé vers un fatras abominable. Finalement, les statistiques révèlent que, malgré les recommandations de prudence et souvent d’évitement, les enfants passent de plus en plus de temps devant les écrans y compris celui de la télévision. Et n’oublions pas que ses émissions sont maintenant disponibles sur tous les écrans. En fait, cette critique n’a pas su aller à l’essentiel, c’est-à-dire reconnaître ses effets sur les prédispositions des enfants aux apprentissages scolaires. Jusqu’à présent, en ciblant l’éducation en général, elle a cherché à sensibiliser les familles alors que le problème relève en fait des compétences de l’école. Des enquêtes statistiques sérieuses révèlent effectivement que les enfants très exposés aux effets de la télévision ont des résultats scolaires nettement plus médiocres et sont souvent en situation de décrochage.  Pour moi, ils sont à l’origine des résistances évoquées précédemment et par incidence concernent un ensemble très large de questions éducatives. Elles méritent donc une attention particulière qui, jusqu’à présent, a fait défaut. Une attention qui, de façon évidente, relève des compétences de l’école beaucoup plus que de celles de la famille. En fait, si les enfants subissent les effets de la télévision, souvent durablement, c’est parce que l’école ne fait pas son travail. Et j’ai même envie de dire que si, à travers le monde entier, la télévision est devenue ce qu’elle est c’est aussi parce que les écoles, toutes les écoles, n’ont pas su faire leur travail, parce qu’elles n’ont jamais cherché à comprendre ce qu’est vraiment la télévision.
          Pourquoi des effets sur les prédispositions aux apprentissages scolaires?
         Parce que les images de la télévision et de l’ensemble des écrans sont des images de conception photographique dont la nature et le fonctionnement médiatique sont très mal connus. D’abord il faut être conscient que si la photographie n’existait pas, la présence des écrans dans notre environnement serait pratiquement inexistante. Ecrans et photographie sont donc intimement liés. Et c’est avec la télévision, vers le milieu ou le début des années 80, qu’elles ont envahi massivement les espaces de vie. Bien que la photographie existe, disons depuis le milieu du 19ième siècle, même à travers le cinéma, ses effets étaient jusqu’alors restés marginaux, négligeables. Sa pénétration dans nos espaces de vie s’est faite d’abord très lentement, même discrètement, pendant plus d’un siècle, sans éveiller les inquiétudes. Puis, avec les écrans notamment avec la multiplication des chaînes de télévision, elle s’est brutalement accélérée, et nous avons manqué de vigilance. Ainsi, disons que les effets des écrans, notamment ceux des émissions conçues pour la télévision, sont des effets de l’image de conception photographique beaucoup plus que des écrans eux-mêmes. Et, pour être encore plus précis, disons que les écrans augmentent la puissance des effets de l’image de conception photographique de façon exponentielle, mais que les effets des écrans restent principalement des effets de cette image. En fait, c’est donc bien la télévision, premier écran entré dans nos espaces de vie, qui a donné brutalement à cette image une puissance inattendue. Mais, pour être vraiment complet, dans notre problématique, il ne faut pas négliger les effets des autres technologies modernes, notamment ceux de la calculatrice, qui sur certaines prédispositions nécessaires aux apprentissages scolaires, comme la motivation envers la maîtrise du calcul, ont eu des effets venant encore s’ajouter à ceux de l’ensemble des écrans. C’est donc à ce niveau que mes hypothèses se distinguent nettement des discours traditionnels.
         Cette pénétration massive des technologies modernes et surtout des images de conception photographique dans tous les espaces de vie des enfants a transformé profondément leurs prédispositions aux apprentissages scolaires et de façon plus générale leurs rapports à l’écrit et au discours. A des degrés variables bien sûr. Mais, d’une part, parce que l’image en question est de conception photographique elle passe à travers tous les écrans, dont, évidemment, et depuis longtemps, celui du cinéma mais avec des conséquences peu perceptibles car sa présence n’affectait pas constamment l’environnement immédiat des enfants, celui du foyer familial. D’autre part toujours parce qu’elle est de conception photographique, son impact est extrêmement fort. Elle influence les comportements et finalement crée un contexte qui rend ses effets inévitables. Prétendre qu’il serait possible d’en préserver les enfants, individuellement et totalement, dans le cadre du cocon familial, est vraiment utopique. Ainsi de façon générale les enfants d’aujourd’hui sont différents de ceux d’autrefois notamment par leurs rapports à l’écrit, et aucun n’est vraiment épargné. Pour ce qui nous intéresse ici c’est au niveau de leurs prédispositions à l’égard des apprentissages scolaires que les transformations sont importantes. Cette question de l’évolution des prédispositions et des résistances qui s’y associent a été longuement développée dans plusieurs textes de ce site. D’autre part je tiens immédiatement à préciser, avec encore plus d’insistance que précédemment, de façon à écarter toute ambiguïté, que je considère que la télévision, les écrans et l’image de conception photographique, comme la calculatrice, appartiennent incontestablement à la modernité ; que cette modernité dans son ensemble est à tout point de vue un facteur de progrès ; que je ne propose pas de l’éviter mais, au contraire, de déjouer ses dangers pour mieux en profiter. Voilà donc pour les enfants. Ce qui constitue le premier aspect de mes hypothèses, nécessaire pour comprendre le second.
          Mais les enseignants, comme l’ensemble des adultes n’ont pas été épargnés par cette évolution. Je ne dis pas que les adultes pourraient être concernés de la même façon que les enfants d’aujourd’hui. J’émets effectivement l’hypothèse que les rapports des adultes à l’histoire ont pu se transformer profondément sous les effets de l’image de conception photographique, et je la développe très longuement par ailleurs sur ce site. Mais elle ne concerne pas directement la question scolaire telle qu’elle se pose actuellement. Les adultes d’aujourd’hui nés dans les années 70, dont la scolarité en primaire a commencé dans les années 80 alors que la télévision s’implantait avec force dans l’environnement de leur enfance, ont maintenant autour de quarante ans. Avec leurs cadets ils sont effectivement plus ou moins concernés. Mais, parmi eux, du point de vue scolaire, les enseignants ont évidemment surmonté toutes les difficultés que j’évoque, même ceux qui ont beaucoup regardé la télévision. Et ils sont nombreux ; ce qui prouve que l’évitement total n’est pas la solution. Dire qu’elle est, en réalité, un peu plus complexe, est un euphémisme. Or, justement, ces enseignants comme tous les adultes ayant réussi leurs études, n’auraient-ils pas maintenant un peu trop tendance à banaliser les effets de la télévision, et de tous les écrans? D’abord, ont-ils seulement conscience d’avoir échapper à quelques dangers? Si oui, peuvent-ils dire comment ? Les discours que j’entends sur l’image sont la manifestation d’une immense confusion. Je démontre sur ce site que, par exemple, parler de lecture pour l’image de conception photographique est une aberration totale, surtout dans la bouche des enseignants. Pour celle qui nous intéresse, c’est-à-dire pour l’immense masse des images à caractère documentaire, très loin des espaces d’expression à vocation artistique, la reconnaissance de son contenu et la signification que nous pouvons donner à cette image ne relève pas d’apprentissages comparables à ceux nécessaires pour lire ou écrire un texte. Je dirai même qu’il existe une opposition forte entre les apprentissages en question. Or savoir exactement, de façon consciente, ce qu’est l’écrit, à travers la connaissance de son statut sémiologique et de son fonctionnement médiatique, me paraît particulièrement important, fondamental pour ceux qui doivent l’enseigner. Et je pense sur ce point ne pas être contredit. Or cette « conscience » de ce qu’est l’écrit me paraît avoir été déstabilisée, contaminée, pervertie par la fréquentation de l’image de conception photographique. La méthode dite idéo-visuelle ne consiste-t-elle pas à appliquer un processus de reconnaissance des mots très proche de celui de la reconnaissance du contenu d’une image de conception photographique ? Or celle-ci est faite de plages alors que le mot, le signe écrit, est fait de lignes fines. Les rapports à la mémoire ne sont pas les mêmes, ne peuvent pas être les mêmes. Cette méthode a vite été écartée, mais les débats autour de sa possible utilisation ont introduit un premier loup dans la bergerie. Finalement, l’acquisition d’une connaissante consciente de la nature et du fonctionnement médiatique de l’écrit, ne passe-t-il pas par une meilleure connaissance de l’image de conception photographique ?
         La légèreté de l’institution envers les logiques d’acquisition, comme celle donnée en exemple concernant l’apprentissage des nombres, un exemple que je considère comme emblématique de cette légèreté, ne révèle-t-elle pas un défaut, non pas dans la maîtrise de l’écrit, c’est évident, mais dans la connaissance consciente de sa nature et de son fonctionnement médiatique ? J’appelle chacun à effectuer une petite introspection personnelle pour tenter de répondre à la question suivante: est-il nécessaire, pour maîtriser parfaitement l’écrit, et plus généralement le discours, dans les pratiques professionnelles ou culturelles quotidiennes, même dans celles s’associant aux plus hauts niveaux d’étude, de posséder une connaissance consciente de sa nature et de son fonctionnement médiatique ? D’avoir constamment en tête que l’écrit est fait d’une imbrication complexe de conventions générales rigoureuses qu’il faut bien maîtriser pour pouvoir s’en servir. Je ne crois pas. Par contre pour l’enseigner, oui ! C’est absolument nécessaire, notamment, d’abord pour trouver les logiques d’acquisition qui s’imposent et ne pas se tromper, les méthodes à mettre en œuvre,  ensuite pour comprendre ce que les enfants ne comprennent pas et personnaliser les enseignements, … Or, les programmes scolaires, les circulaires, les manuels, les méthodes et les pratiques d’enseignement, … donnent, à cet égard, le sentiment d’une bien trop grande légèreté. La conscience de ce qu’est réellement l’écrit y apparaît plus que douteuse. Autrefois, tant que la présence de l’image de conception photographique restait marginale dans les espaces de vie, les enseignants étaient « conditionnés » par l’écrit, seul véritable moyen d’émancipation intellectuelle. Mais, comme je l’explique longuement par ailleurs, toujours sur ce site, l’image de conception photographique s’est imposée dans les procédures intellectuelles, notamment au niveau du travail de mémoire, comme un outil d’investigation scientifique et d’émancipation culturelle, complémentaire de l’écrit et du discours. Parfois même, en permettant de reporter le travail d’interprétation, elle donne l’illusion de les remplacer totalement. C’est dans cette association avec l’écrit qu’elle trouve son sens, tout son pouvoir, toute sa puissance, mais engendre insidieusement des illusions, car seul le discours et surtout l’écrit apportent aux procédures intellectuelles un réel pouvoir d’interprétation. Elle est venue ainsi perturber en catimini un ordre qui semblait établi, indestructible, en modifiant nos façons de percevoir l’écrit. Celui-ci reste le « mettre d’oeuvre » de l’émancipation intellectuelle, mais, effectivement, sans le remplacer, l’intervention de l’image de conception photographique dans les procédures intellectuelles en modifie la gestion pour finalement leur donner beaucoup plus de puissance. Elle y remplace souvent le dessin, permet de reporter le travail d’investigation, d’interprétation, de mémorisation. Cette interdépendance a fini par créer des confusions. La reproduction imprimée est elle aussi une autre source de confusion. En effet pour la photographie comme pour l’écrit elle s’effectue par points. Or, soyons sérieux, cet aspect purement technique ne permet pas de parler d’écriture photographique ! Il a pourtant souvent été mis en avant par les photographes pour tenter de rehausser le statut de leur média dans ses comparaisons avec l’écrit. Pour les démonstrations, un peu longues, je renvoie encore aux principaux textes de ce site.
         Revenons donc à la réalité en reconnaissant ses deux caractères fondamentaux. D’une part, les révolutions culturelles que nous vivons depuis plusieurs décennies n’ont pas changer la nature de l’écrit et son fonctionnement médiatique, car, tout simplement, rien ne peut les changer, ou alors seulement de façon très marginale, insignifiante. Il sera toujours fait de conventions générales fortement imbriquées entre elles. Et reconnaître ce premier aspect de la réalité ce n’est pas adhérer aux positions ultraconservatrices de certains défenseurs des savoirs académiques. D’autre part, et justement, il est évident que la seule connaissance des savoirs académiques n’est pas suffisante pour permettre un exercice efficace des métiers de l’enseignement. Finalement il apparaît que l’institution d’abord, les enseignants ensuite ont fait preuve de beaucoup de légèreté, d’inconscience, à l’égard de l’écrit, de sa nature et de son fonctionnement médiatique, en mettant en œuvre les concepts concernant la place de l’enfant au centre du projet éducatif. En plus, ceux qui se sont opposés à cette évolution, de leur côté n’ont pas trouvé le bon créneau, celui qui aurait pu rendre cette opposition efficace.
         Or, malgré les engagements du nouveau pouvoir politique pendant les dernières campagnes électorales, dans les annonces de l’actuel ministre de l’éducation je ne vois rien pouvant laisser espérer un véritable changement. 12 élèves par classe en CP, c’est mieux que 24, c’est évident. J’applaudis. Mais nous restons dans le simplisme, et si les maîtres ne sont pas mieux formés, notamment dans le sens évoqué ci-dessus, l’efficacité de cette mesure risque de rester encore très loin des attentes. L’interdiction des téléphones serait aussi une bonne décision si elle pouvait être réellement mise en œuvre partout. Il est certain que l’enseignement privé saura s’en donner les moyens alors que le public risque de rencontrer plus de difficultés. Mais de toute façon un élève de collège est parfaitement capable d’ignorer son téléphone s’il est réellement motivé par ce qu’il fait. Le bon fonctionnement de la cité scolaire repose incontestablement sur un certain niveau d’autorité et les interdictions constituent des « garde-fous ». Elles sont nécessaires, mais je le répète elles ne constituent que des garde-fous et ne seront jamais le moteur de l’action éducative. A l’égard des apprentissages pour lesquels les enfants viennent en classe, fréquentent la cité scolaire, rien ne peut remplacer la motivation. Il faut donc d’abord penser à former les enseignants et cesser d’appuyer toujours aussi fort sur l’exigence de docilité. En effet, les mesures annoncées ne visent pas à éveiller les motivations et à développer l’autonomie mais à créer des conditions susceptibles de rendre l’autorité plus efficace en permettant de mieux contrôler les  élèves. Ce n’est pas gagné car dans ce monde de l’image l’écrit apparaît aux enfants en âge de s’y initier comme un outil très artificiel, et ils sont de moins en moins dociles. Les classes seront peut-être plus calmes mais les élèves au moins aussi passifs à l’égard des apprentissages scolaires. Et, à l’école, la passivité est souvent le pire des maux, celui qui entretient des illusions, laisse croire à une sorte de réussite, et, conduit, par exemple, à l’illettrisme, comme nous l’avons vu par le passé. Ainsi, dans ce contexte de la modernité, de la civilisation de l’image, les maîtres ont d’abord besoin d’apprendre à motiver les élèves pour l’apprentissage de l’écrit, du discours, de façon à en respecter la nature et le fonctionnement dans leurs pratiques pédagogiques. Ils doivent aussi inventer les activités permettant de développer les prédispositions nécessaires aux apprentissages fondamentaux alors que celles-ci ne se développent ou ne se forment plus « naturellement » en dehors de l’école comme autrefois. Des activités qui, parallèlement, devront permettre de s’opposer au développement des tendances que j’ai appelé « contre-dispositions ». Je ne sais pas si l’inadéquation de ces mesures avec la réalité du moment relève d’une forme d’impuissance ou d’inconscience. La pédagogie n’est pas directement du ressort du ministre mais j’aimerai l’entendre mettre plus fortement en avant la formation des enseignants et son contenu plutôt qu’annoncer des mesures, qui, sans être inutiles, ne vont pas à l’essentiel. Nous sommes encore trop loin de la recherche d’un juste équilibre entre motivation et autorité. Les savoirs acquis de cette façon resteront toujours fragiles et la machine à former des illettrés n’est pas prête à s’enrayer. Par ses conséquences sur la formation continue, que j’ai pu personnellement constater, de nombreux emplois resteront toujours vacants, car pour que cette formation continue soit efficace il faut d’abord que la formation initiale s’adapte à la modernité.
1 - Sur deux textes de ce site je développe longuement cette question des prédispositions aux apprentissages et des résistances qui s’y associent en raison de leur affaiblissement. J’en rappelle rapidement l’essentiel. Les plus élémentaires ou traditionnelles sont : la motivation, l’attention, la concentration, l’écoute, … Avec la modernité elles se sont fortement affaiblies. Mais la modernité, surtout la télévision, développe un besoin d’immédiateté, de donner vite des solutions, qui peut être très fort, des difficultés dans l’identification et la reconnaissance des signes écrits, un développement laborieux et de façon générale plus tardif de la perception de l’espace et du temps, un défaut, voire parfois une absence totale, de sensibilité aux utilités externes. Contre-dispositions est l’expression qui me paraît convenir pour désigner ces quatre derniers phénomènes de résistance
2 -  J’ai donc eu plus de chance que de mérite.
3 - l’usage, le mot « photographie(s) » désigne des images fixes. Pour mettre dans le même panier les images mobiles du cinéma et des écrans, sans la moindre ambiguïté, il fallait trouver une autre expression.